Avec cette intégrale entre les mains, nous faisons face à un véritable monument tant au niveau de la science-fiction qu’au niveau de l’histoire même de la bande dessinée. Œuvre magistrale, unique, cette version du texte de Flaubert interpelle et fascine. Initialement publiée en trois volumes, ce roman graphique avant-gardiste est dorénavant publié chez Drugstore en intégrale. C’est l’occasion pour toute une nouvelle génération de lecteurs de prendre une sacrée claque. C’est aussi le moment pour les fidèles d’origine de renouer avec leurs amours de jeunesse pour une science-fiction pionnière.



Nous ne nous attarderons pas sur l’histoire, fort bien écrite par un Gustave Flaubert qui souhaitait prendre des distances avec son époque en situant sa narration dans l’Antiquité. Sachez cependant que vous devrez vous y attarder longuement pour en percevoir toute l’intelligence et la substance. Non seulement ce texte n’est pas simple mais il se trouve brouillé par les innombrables interférences graphiques de Philippe Druillet, l’autre maître de cette œuvre. Loin de moi l’idée de critiquer négativement l’illustration. Mais comprenez bien que le dessin de Druillet se montre si dense, si plein de détails, si novateur pour l’époque à laquelle il a été créé que le texte passe soudainement en arrière plan, second rôle d’une aventure graphique sans précédent.



Nous avons là Science-fiction brute, à forte tendance érotique, qui transcende l’écrit. Nous avons donc des univers improbables, des dunes sablonneuses et des palais tortueux. Nous retrouvons des références indéniablement phalliques tout au long du récit pour mieux souligner la passion destructrice engendrée par Salammbô et le désir qu’elle suscite. Mais c’est toute la délicatesse du pinceau qui anime les machines et fait fourmiller les architectures de détails. Les fameux éléphants, qu’on ne peut que se presser d’aller regarder vu l’importance de leur rôle dramatique dans le roman original, font éclater leur force en double page. Avec la foison de mouvements des petites articulations de leur cuirasse, ils s’avèrent à la fois si imposants et si délicats.



Cette version intégrale est en outre agrémentée de préfaces et de remarques de différents auteurs. Elle nous fait ainsi rentrer encore plus intimement dans son univers et dans les perceptions qu’en ont d’autres lecteurs. Nous découvrons également à quel point le triptyque original était novateur avec cette couverture du troisième tome qui montrait le premier procédé d’images de synthèse jamais utilisé en bande dessinée. Aujourd’hui dépassé, il laisse une trace inestimable sur l’œuvre.



Ne tergiversons pas, cette intégrale de Salammbô est tout bonnement indispensable.