Collection Folio SF (No 410)
trad. de l'anglais par Christophe Duchet,
368 pages
Parution : 27-10-2011
ISBN 9782070439942.
Le roman de James Patrick Kelly s’ouvre sur un hurlement.
Celui de la déesse Téaqua qui, à l’écoute des murmures de Chan, le Soleil des Chanis, renonce au processus de « renaissance » et exige qu’un humain lui construise un tombeau digne d’elle. Or, pour les Erudits de la planète Aseneshesh, une étoile ne saurait communiquer. Ils craignent que la décision de Téaqua vieillissante et sujette aux hallucinations n’entraîne la prise du pouvoir par le prophète Ammagon, adorateur de Chan.
Néanmoins, s’inclinant devant le vœu de la déesse, des messagers se rendent sur terre pour trouver l’architecte capable d’y satisfaire. Après plusieurs échecs, leur choix se portera sur Philipp Wing « héros du nouveau millénaire », créateur du Nuage de Verre, monument qualifié de merveille du monde. Wing en a eu l’idée adolescent mais sa réalisation, au final, l’a déçu. Dans un premier temps, il se montre très méfiant à l’égard de l’organisation extraterrestre qui l’a contacté. Cependant, mécontent de lui-même, trahi par sa femme, tenu à distance par ses commanditaires, lassé de son environnement délétère, Wing n’a rien à perdre. Contre l’acceptation de concevoir et bâtir le tombeau de Téaqua, il recevra l’immortalité.
Commence alors le questionnement du héros, métamorphosé « à l’insu de son plein gré » en Chani poilu aux dents roses, à la fois leurré et guidé par un implant mémoriel doté d’une conscience, dans un univers déchiré par des luttes partisanes, miséreux et ultra robotisé, qu’il devra découvrir, maîtriser et peut-être « intégrer ».
Œuvre de science-fiction ambitieuse, « Regarde le soleil » nous offre deux visions du monde antinomiques à travers le regard de Wing.
D’abord « humain » puis « chani » avec possibilité, au terme de sa mission, de redevenir « humain », le héros malmené de Kelly perd son identité, se reconstruit, s’autoanalyse au prix de moult doutes et épreuves.
Le lecteur a affaire à un « roman d’apprentissage » dans la tradition du XVIIIè siècle mais dont la modernité tient au cheminement du héros dans les arcanes d’un système solaire différent du nôtre, Chan n’étant pas le soleil dont dépend la terre.
Pour autant, Wing fait-il le bon choix lorsqu’il accepte de mourir afin de ressusciter autre ? N’est-il pas victime d’un piège flatteur pour son ego d’architecte ? Serait-il le jouet d’humains désireux d’accéder au secret de l’immortalité high-tech ? Ses amours à deux visages ont-elles un sens entre interface, vision et prisme déformant ? Quid des rapports difficiles, voire conflictuels, entre races radicalement différentes ? Quel but politique sous-tend l’offre des messagers ?
Bien mené, très descriptif, mis en valeur par un vocabulaire foisonnant au service d’un style direct, sans pathos, ce roman ouvre plusieurs pistes à réflexion. Pourtant il arrive que l’ennui s’invite au hasard des pages : trop d’interrogations contre peu d’action d’où parfois un sentiment de frustration… Quoi « tout ça pour ça » !… Mais le « tout » l’emporte car James Patrick Kelly a le talent imaginatif et excelle dans la SF donc « on suit sans hésiter ni reculer » Wing en pays Chani.
Dom. |