Roman Broché/400 pages
Illustration de couverture : Philipp Jozelon
Date de parution : 21 février 2020
ISBN : 979-1097270056
Lorsque l'on voit le nom de Sara Doke, il est immédiatement associé à sa carrière qui ne manque pas d'impressionner. Autrice de science-fiction et de fantasy, journaliste, traductrice, organisatrice d'événements autour de l'Imaginaire, présidente du Prix Julia Verlanger ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Julia-Verlanger)...
Dans la complainte de Foranza, nous allons découvrir une principauté à l'organisation complexe où la Femme a une position délicate, entre vénération et mépris. Au travers d'une enquête sur une série de meurtres mis en scène dans des ateliers de peintures, nous découvrirons Foranza, ses habitant(e)s, ses étranger (Martin le mercenaire), ses traditions, ses contradictions et la fascination du culte des Fées.
L'action se situe dans un monde qui a accès à peu de technologie. Ce qui pourrait se rapprocher du XIXième, mais l'imprimerie n'existe pas encore.
Si les femmes sont au coeur de Foranza, leur position n'est pas toujours très enviable. C'est cette opposition entre le fait qu'il est impensable de faire du mal à une femme de la part d'un homme (une telle chose serait une atteinte à sa propre virilité), mais dans le même temps, les femmes ne méritent pas d'être instruites. Elles peuvent utiliser des machines dans les usines, mais pas en comprendre le fonctionnement. Et surtout, une femme ne doit jamais montrer ses sentiments ou ses sensations. Elle doit toujours être maîtresse d'elle même. Pourtant, elles peuvent être enquêtrice, comme Aphrodisia Malatesta ou tenir un bar comme Chiara avec le Fée-z-Alys
Ces contradictions vont de paire avec une administration très compartimentée. Et un ordre religieux aussi lourd qu'archaïque, où seuls les hommes sont autorisés à rendre grâce aux fées. Notamment à travers une technique de peinture qui est une véritable magie : la pictomancie. En reproduisant le réel de façon très précise, vous pouvez véritablement enfermer votre modèle dans la toile.
Un art très secret, qui empêche la pratique de la sculpture réaliste, même d'animaux. Alors que dire d'un sujet humain! Ce serait sacrilège.
Et c’est bien ce qui est arrivé: l'impossible !
Des femmes ont été assassinées, dans des ateliers de peintre et leur mort, atroce, a été mise en peinture avec de la pictomancie. Tout ce qui interdit se rejoint dans une seule et même scène ignoble, immorale et blasphématoire. Comment les fées ont-elles pu laisser faire une chose pareille? C'est une femme qui va enquêter, avec l'aide de ses assistants, qui sont des ingénieurs ingénieux, dont Pasquale Di Auleri et sa propre assistante Leona Da Veni. Aphrodisia a pour responsable direct, le magistrat, Maestro Camillo Guadalpa, qui fera tout son possible pour la protéger et lui permettre d'avoir les coudées franches. Mais elle vient de mettre le doigt sur quelque chose qui la dépasse. Car le fil qu'elle est en train de remonter est imbriqué dans toute une époque qui est en train de sombrer dans la tourmente.
Avec ces hommes qui sont désœuvrés et commencent à reprocher aux femmes de leur voler leur travail. Alors que ces mêmes hommes refusent d'accomplir les taches en question (encore une autre contradiction de Foranza). Heureusement que certains, comme Martin, venu du Nord, sont là. Il va très vite monter une milice de femme, pour qu'elles puissent assurer leur propre sécurité dans les rues, qui aussi improbable que cela soit, ne sont plus aussi sûres qu'avant. Le viol est devenu un acte de rébellion pour certains. Comment en est-on arrivé là ?
Quels moyens d'action seront à la disposition d'Aphrodisia pour empêcher un psychopathe, tueur en série de continuer de semer la terreur dans une principauté qui voit ses fondements s'écrouler ?
Après tout, ne serait-ce pas la faute des femmes ? Ne l'aurait-elle pas un peu cherché ? Et les fées dans tout ça, pourquoi laissent-elles faire ?
Sara Doke mélange les genres, les époques, les inventions et des pensées dans un roman dense où se retrouvent mille et une idées très réelles et autant de références du monde de l'imaginaire.
La place de la Femme dans la société est au coeur du texte, sous toute ses formes : droit d'accès au travail, à la politique, à l'éduction etc. Cela passe aussi par les mots qui sont utilisés par Sara Doke : avec les métiers féminisés comme ingénioresse, medicienne etc.
Cette réflexion qui est on ne peut plus actuelle, prend un élan nouveau dans ce monde où la Femme a déjà conquis une place, qui se retrouve être une véritable prison dorée, dont les murs sont entrain de s'effondrer. Malheureusement pas pour les libérer, mais pour les torturer d'avantage semble-t-il.
Comment se fait-il que personne ne réagisse ? Pourquoi les hommes de Foranza, qui ont reçu une éducation, dans le respect des femmes, ne font pas ce qui convient. Pas en faire des tonnes, juste ce qui est le minimum requis en la matière ? Est-ce qu'une véritable vague de déstabilisation est en train de frapper sans relâche la principauté portuaire de Foranza ?
Et d'où vient ce mal? Nous avons quelques explications qui sont apportées, à travers le culte des fées et le problème de chômage. Mais nous n'aurons pas toutes les clés dans ce livre.
S'agit-il du début d'une grande aventure, qui nous emmènera à la découverte de Foranza dans d'autres romans et/ou nouvelles ? Espérons le, car il y a tant à explorer encore.
Le fait que la technologie soit ancienne, oblige à la réflexion, à la recherche, à l'échange d'information entre êtres humains. Ici, c'est l'observation, l'analyse, la déduction et la logique qui sont mis en avant. Il faut savoir être patient. Et c'est aussi cette lenteur qui permet de sauver des vies. Le temps peut-être un atout ou un handicap. Nous y retrouvons cette ambivalence si caractéristique du roman.
J'aurais aimé vous citer quelques clins d'oeil, que vous retrouverez à la lecture du roman, mais ce serait vous gâcher votre plaisir. Sachez que si vous êtes des lecteurs d'imaginaires ou de classiques de la littérature de genre, vous allez pouvoir faire de nombreux parallèles entre les personnages et les actions qui se déroulent dans La Complainte de Foranza.
Un roman sombre et dans le même temps plein d'espoir, qui démontre que malgré le chaos, tant qu'il y a des forces vives pour se battre au milieu de la tempête, il y a toujours une possibilité de progrès.
Un livre fort, avec de nombreux messages pour notre génération, qui montre entre autre l'importance du collectif, de l'entraide et du respect.
Xavier |