Collection : Littérature Etrangère
Date de parution : 18 mars 2009
Traduit de l'anglais par : Sylvie DENIS et Roland C.WAGNER
ISBN : 9782213636900
Norman Spinrad a voulu nous faire comprendre que nous naviguions à vue, dans un épais brouillard dû à notre bêtise crasse et que nous n’avions pas pensé à ralentir la machine. Au contraire, nous accélérons pour tenter de sortir de cette fumée provoquée par les gaz d’échappement de notre bolide. Pour y arriver, il a choisi la manière forte en nous punissant. Cette vision acide de notre monde va vous faire mal, forcément. Vous en faites partie, du coup, vous allez vous retrouver dans l’un ou l’autre des personnages qui sont décrits tout au long des 700 pages de son nouveau roman « Il est parmi nous». Si l’adage qui aime bien châtie bien, Norman Spinrad doit vraiment beaucoup aimer les hommes et particulièrement ses lecteurs. Quelle idée a-t-il eu d’écrire un roman si long, qui égratigne en permanence les fans de Sci-Fi ?
Le style est décapant mais également captivant. Surtout grâce aux personnages principaux qui sont tous haut en couleur : Ralf ce paumé hors du temps, toujours à côté de la plaque et pourtant si sûr de lui. Texas Jimmy Balaban en vieil agent sur le retour qui vivote de petites gloires en erreur de carrière. Dexter D. Lampkin, qui aime se faire flatter par ses fans, même si son dernier roman à succès date quelque peu. Amanda Robin qui a de grandes idées sur le monde visible et invisible, mais qui finalement ne crache pas sur le confort matérialiste… Tous ces personnages sont très attachants. Et même le pire des loosers, qui ne fera qu’une brève apparition le temps d’une réplique ou qui aura le malheur de croiser l’éventreur, vous sera sympathique grâce au style de Norman Spinrad. Tous les intervenants de cette incroyable aventure ont un profil psychologique intéressant. Et l’on aimerait en savoir encore plus sur eux. Vous voudrez leur donner des conseils, les aider, les prévenir que le pire peut être évité. Vous angoisserez avec eux et vous partagerez leurs joies. Car le style de Norman Spinrad est particulièrement efficace.
Tout commence assez bien, avec un agent de spectacle qui emmène une jeune femme pulpeuse, aspirante comédienne, dans une salle de 3ème zone pour ne pas se faire attraper par le détective privé engagé par sa femme. Et qu’elle n’est pas sa surprise de découvrir dans ce bouge, un comique qui tente de captiver l’attention du public en enchaînant les vannes assassines et prétendant venir du futur. Croyant avoir trouvé un bon filon, Texas Jimmy Balaban va proposer un contrat à son nouveau poulain. Mais il y a encore du travail avant de lancer Ralf sous les feux des projecteurs. Il fait alors appelle à Dexter D. Lampkin, un auteur de SF, qui a eu son heure de gloire avec un roman intitulé ‘La Transformation’ et Amanda Robin, une adepte des techniques NewAge et autres théories ésotériques. Et tout va bien se passer, en tout cas dans un premier temps, car Ralf ne sort jamais de son personnage. Se pourrait-il qu’il soit vraiment venu du futur pour nous prévenir que nous courrons droit dans le mur ? Mais alors pourquoi n’est-il pas plus clair dans ses propos ? Pourquoi toujours rabaisser son auditoire en le méprisant ? Pourquoi ne pas lui tendre la main pour l’aider à se relever, au lieu de lui donner des coups pieds dans le vendre ? Cette agressivité verbale permettra-t-elle à son message de prévention de passer plus facilement ?
Et en parallèle des actions et réactions hallucinantes de Ralf, vous suivrez le quotidien d’une jeune fille, un peu paumée, qui va sombrer dans la drogue de la plus horrible des façons. Oubliez le plus horrible des cauchemars que vous pourriez faire sur une descente aux enfers d’une nouvelle victime du crack, ce que Norman Spinrad vous met sous les yeux est bien plus terrible. Et rien ne vous sera épargné : prostitution, exclusion sociale, violence, folie… La vie est dure pour une junkie, vous allez en faire la douloureuse expérience… Avec un vocabulaire à peine compréhensible lorsque Foxy Loxy s’exprime. Voici un extrait « Alors touskel’ doit faire, c’est êt’ l’un d’eux, et elle peut carrément disparaît’, putain ! Pisser et chier quand elle peut, du moment qu’y a pas d’flics dans l’coin, pas d’endroit où s’laver d’façon, donc elle s’lave pas, pas d’vêtements de rechange, donc elle d’vient tout dépenaillée kekchose de chouette, et s’y en a qui sont assez cons pour la r’garder d’travers, et ben merde, elle les r’garde d’travers elle aussi, elle tend la patte pour avoir d’lai monnaie et s’met à jacasser […] »
Et tout ça pour quoi ? C’est que l’on se demande pendant longtemps. Car au bout de 50 pages, vous comprendrez ce qui se passe très clairement, vous pouvez sauter des passages qui vous ennuient jusqu’à la page 353 pour ne pas louper le tournant de l’histoire. C’est à ce moment que les choses sérieuses vont véritablement commencer. Et c’est dans cette dernière partie qu’est tout l’intérêt du livre. Ce que je vous laisse découvrir.
En toute honnêteté, ce roman de Norman Spinrad gagnerait en efficacité s’il ne contenait que 300 pages. Mais aurait-il été aussi dérangeant dans ce cas ? Je me le demande encore. Fallait-il se moquer des fans de SF aussi souvent, alors que ce sont eux qui vont principalement acheter ce livre ? Et pourtant il faut bien reconnaître que les descriptions sont très justes, presque trop réelles. C’est peut-être ce qui fait aussi mal : voir la vérité sans maquillage, sans effets spéciaux, en lumière directe et froide, comme sous le néon du médecin légiste. Lorsqu’il n’y a plus rien à cacher, plus d’artifice, ce n’est pas toujours très beau à voir.
C’est avec un goût amer dans la bouche que j’ai fini ce roman, ne sachant pas trop ce que je devais en penser. Devais-je le jeter en criant au scandale et m’insurger contre les railleries faciles ou au contraire essayer de comprendre ce qui pousse un écrivain de SF comme Norman Spinrad à écrire d’une plume trempée dans de l’acide chlorhydrique ?
J’ai opté pour la deuxième solution et je cherche toujours la réponse.
Alors si vous voulez vous faire du mal ou que vous maîtrisez à merveille l’auto dérision, ‘Il est parmi nous est fait pour vous. Oserez vous affrontez Ralf ou resterez vous avec les mains sur les yeux pour ne pas vous rendre compte que vous êtes déjà sur la Nef des Morts ? Xavier |