Hors Collection Delcourt
Album cartonné/ 160 pages couleurs
Date de parution : 18/10/2017
ISBN : 978-2-7560-6591-5
Le récit nous projette dans un hypothétique Paris en 2050. Nous découvrons cette nouvelle société à travers les yeux de Kader, vivant dans un 10 mètres carrés au sommet d’une tour lugubre. Divorcé, père d’une fille qu’il ne voit que trop rarement, entre 4 murs et autant de paires d’yeux pour le surveiller, il vit dans la zone dite de Transit avec les immigrés et les anciens criminels.
Il travaille dans une entreprise qui veille à la maintenance des « parcs éoliens », ressemblants à des zones semi désertiques à la végétation éparse. En bref, des forêts où les arbres ont cédé leur place aux éoliennes et où la terre humide et fertile du sol est devenue sableuse et rocailleuse.
Kader n’a pas d’amis et évite de parler à qui que ce soit. La raison en est simple : il est assujetti à des injections d’un produit appelé Sérum. Cela l’oblige, à chaque fois qu’il communique, à dire la stricte vérité sans plus jamais pouvoir décider de ce qu’il émet.
L’obligation à dire la vérité à ses concitoyens apparaît d’ailleurs comme un aspect constitutif du nouveau gouvernement de cette société ayant construit ses fondations sur les cadavres des anciens gouvernants véreux de notre douce France.
J’avoue qu’on ne sait pas au départ à quels analyse et sentiment s’abandonner.
J’étais contente tout d’abord de voir des éoliennes et même des couvre feu. Je me disais « Tiens une société où ses membres ont enfin compris la nécessité de prendre soin de la planète en consommant moins et mieux l’énergie », ou encore « Tiens une France dont la présidence est permise à une femme ». Mais mon enthousiasme a été de brève durée quand je compris que ces démarches écologico-économiques avaient été mises en place trop tard. Que le mal avait déjà été fait de manière irrémédiable, que l’eau potable était devenue une denrée rare et distribuée au compte goutte. Et qu’enfin les inégalités de traitement des classes sociales demeuraient dans cette vaste supercherie sociétale.
Dans ce Paris, qui a été conçu par l’auteur pour être celui dans lequel nos enfants pourraient être amenés à vivre, seuls les pauvres et ceux de la classe moyenne se voient privés de lumière la nuit.
Le ton de ce récit me renvoie à un militantisme pessimiste. On sent la flamme de la révolte apparaître crescendo jusqu’à atteindre son paroxysme… pour mieux retomber ensuite dans l’impitoyable cercle vicieux qu’est l’illusion de notre démocratie moderne.
La forme du roman graphique rend sans doute plus aisé le choix d’une narration omnisciente et d’un regard externe du lecteur sur les fonctionnements, les vécus et les expériences du personnage. Mais je pense pour ma part que ce type de scénario aurait gagné en intensité si le lecteur avait pu découvrir l’histoire uniquement à travers les yeux du personnage.
Le style graphique sert quant à lui à merveille les propos du scénariste. Les traits sont épurés, les personnages apparaissent figés dans leur mouvement comme si l’apathie générale avait colonisé les corps en même temps que les esprits. En dehors du camaïeu de gris, de bleus et de marron, la seule couleurs qui émerge vraiment est le rouge du sang et de la violence.
Et au milieu de tout ce glauque : le jaune pale, comme inhibé et retenu, des papillons et d’un gros lézard solitaire, seuls témoins vivants de notre gâchis.
Morgane |