FEREY CarylDate : 13-12-2019

Salle : Bibliothèque Centrale
Ville : Tours (37)



Comme à son habitude, la Bibliothèque Centrale de Tours nous a proposé un début de soirée littéraire de qualité et très agréable. Caryl Férey, auteur multi facettes (romans noirs, parolier, scénariste BD…), venait y parler de ses ouvrages et de sa façon de créer à l’occasion de la sortie récente (octobre 2019) de son dernier ouvrage Paz aux éditions Gallimard.

Lien site Gallimard: Collection Série Noire Paz


Voici un retour sur ce riche échange avec cet auteur passionné et plein d’humour.




Début de sa carrière.
Avec un ange sous les yeux, son 1er roman est né d'une souscription, alors qu’il était barman. L’auteur précise que le sujet était trop ambitieux pour son âge, raison pour laquelle il utilise les quelques exemplaires qui lui restent pour caler des meubles.

Pour son 1er polar, Caryl Férey a rencontré deux auteurs majeurs lors d’une soirée. Et il a reçu contre toute attente de sa part des encouragements. Cela qui lui a donné un sacré coup de pouce. Lui qui pensait se retrouver dans un milieu fermé, où le petit nouveau, comme dans une entreprise, est malmené, il a été bien accueilli par les pontes du genre.

Ensuite est sorti « Haka » Edition Baleine : particularité de ce livre, c’est le dernier que cette maison d’édition a sorti, après l'éditeur a fait faillite, pour cause de train de vie dispendieux. Mais Caryl Férey ne se fait pas encore remarquer.

A la suite de quoi, Caryl Férey écrit des polars qui le font connaître du grand public. La suite nous la connaissons : nombreux prix littéraires, adaptations ciné, bd, etc... Avec aussi des polars locaux et même de la littérature jeunesse, des pièces radiophoniques pour France Culture et France Inter.

Très souvent l’action des romans se passe dans un pays qui a été marqué par son Histoire. Cette fois la Colombie. Comment se fait le choix ?
Caryl Férey explique qu’au départ, cela s’est fait au gré de la vie; avec des sujets découverts enfant : quand il avait une dizaine d’années, voir des grands mères se faire frapper par des policiers, ça l’a choqué, mais sans comprendre ce qui se passait. Retourner dans ces pays (Chili, Argentine…) une fois adulte, c'est aussi un choc : on voit la rage des gens pour ce qu’ils subissent depuis des années.


Méthode d’écriture.
Beaucoup de documentation, mais pas de mode d’emploi. Caryl Férey précise qu’il a un bac +3 …
Bac + 3heures. Il est autodidacte, ce qui lui demande plus d'énergie selon lui, car il n’a pas de processus bien étudié sur le sujet. Il rapproche son style de celui du travail de journaliste. Même s’il a un regard critique sur une certaine tranche de la profession.
Exemple : un journaliste du « Figaro » l’a interviewé pour Mapuche et lui a dit "dommage qu'il y ait des hommes d'église dans les méchants". Le lendemain dans « El Pais », ont été publiées des révélations qui dénonçaient la présence de l'Eglise dans la dictature chilienne.

Caryl Férey précise que les gens se méfient des journalistes, mais pas des écrivains. C'est très facile de discuter avec des personnes que l’on rencontre pour la première fois, en réalité. Il obtient des confessions, des témoignages qui sont précieux. Cette partie de collecte de l’information dans son travail, c’est quelque chose de très sérieux. Tout dépend de cela, c’est ce qui lui permet d’avoir le ton le plus juste possible.
Le « Travail de nuit » est important, primordial. Les gens racontent des choses, comme si le journaliste n'était qu'un gars qui passe et qu’ils pouvaient tout lui dire, sans qu’il n’y ait aucune conséquence. Cela rend la scène écrite ensuite dans les romans très vraie et authentique. Ce qui est le cas, puisqu’elle est à l’origine un témoignage.



Pour son dernier livre, Caryl Férey est parti en Colombie : les blancs là-bas sont surprotégés. Mais pour Cary Férey, être dans un pays, ce n'est pas rester cloîtré dans un hôtel de luxe.
Il a saisi l’occasion : dès que la paix a été signée en 2016 avec les Farc et que le pays s’est ouvert au tourisme, il s’est dit que c'était le moment d'y aller.
Depuis Christophe Colomb, c'est un carnage en permanence en Colombie. Les indiens sur place n’étaient pas soudés entre eux. Ils se sont fait massacrer, tout au long du XVIème siècle. Les survivants sont devenus esclaves. Et comme ils n’étaient pas assez nombreux, des esclaves ont été importés d’Afrique. Même en 1810, avec la République, c'était encore la guerre, meurtre etc jusqu'à la naissance des Farc.
Le Référendum de 2016 a abouti à un refus de la paix. En effet, selon Caryl Férey, il y a eu la diffusion de très nombreuses fake news. Par exemple, il y aurait le versement de pensions très importantes aux farc qui rendraient les armes. Ce résultat peut s’expliquer par une population peu éduquée avec politique de droite très forte.


Présentation de Paz
3 hommes, un politique, un flic ancien des forces spéciales, un ex farc. Un père et deux fils. Et tout commence avec le meurtre d’une femme. Un copycat de la violencia (1948-1958)?
Caryl Férey déteste les associations faciles de certains mots. Par exemple : on associe toujours « atrocement » et « mutilé », ou alors « prix » et « prestigieux »
Son idée : comment faire quelque chose d'aussi atroce quand on est un tueur? Caryl Férey explique les mises en scène pour ridiculiser les victimes : les tuer, les vider de leurs organes et rentrer les bras et les jambes dans le tronc pour leur donner une dimension réduite.
En 1948, Jorge Eliécer Gaitán, avocat, a tenté de réunir tout le monde. Il a été assassiné. S’en est suivi un massacre des personnes de gauche (de 200 000 à 300 000 personnes). La situation est la suivante. Le pouvoir en place pourchassait les colombiens de gauche. Les gauchistes ont migré vers les campagnes. Le pouvoir s’en est pris aux paysans qui aidaient. Il a fallu s’éloigner encore d’avantage, aller plus loin dans la forêt. Ce qui a donné les farc quelques années plus tard.
Caryl Férey s'intéresse au temps long de l'Histoire, pour remettre en perspective la situation actuelle des Farc.

C'est aussi la raison pour laquelle il écrit aussi lentement, il faut rechercher avant d'écrire.

Caryl Férey adore sa famille, mais ne la voit pas. Surtout pas à Noël. Du coup, il a eu cette idée de faire une histoire de famille en Amérique du Sud. Inspiration du film Le parrain, mais au fur et à mesure il a rajouté des lien très tordus, comme si Caryl Férey avait un compte à régler avec sa famille (annonce faite avec humour).
Pour lui, si tu as des problèmes avec ton père, prends en un autre. Tu peux choisir David Bowie ou Jacques Brel. Il faut arrêter de rechercher ce que tu n'as pas dans ta famille à l’intérieure de celle-ci. Si tu as des difficultés avec ton père, si tu manques de son amour, surtout s’il t’a fait du mal, cela ne sert à rien de s’acharner à essayer de gagner son affection. Son conseil : prends ton bonheur ailleurs. N’importe qui, un chien etc.

L'amour permet de faire des personnages émouvants, comme le para militaire dans « Paz » par exemple.
Les femmes sont importantes aussi dans le roman (pas de développement sur le sujet, pour ne pas tout raconter de l’intrigue).
En Colombie, les femmes sont souvent sur le même modèle, cheveux longs, très maquillées, couleurs flashy, musique très sexuelle. Elles sont toutes refaites des seins et des fesses. Caryl Férey a eu du mal avec ça. Le problème vient du fait que l’objectif réel de cette uniformisation : pour les femmes plaisent aux hommes. Des filles se prostituent auprès de narcotrafiquants, pour se faire refaire des seins pour rentrer dans ce modèle. Cela arrive très souvent malheureusement.

Comment faire la paix ? Il y a encore actuellement des manifestations en Colombie.
Caryl Férey précise que Juan Manuel Santos, le ministre qui a fait la paix, un ancien ministre de la défense. Donc Santos c'est un faucon devenu colombe, ce n'est pas Mandela. Santos Il a eu le prix Nobel de la paix en 2016, la veille du référendum qui a refusé la paix. Quelle ironie.
Les farc sont militants écologiques, juste parce qu'ils étaient dans les forêts. Si les farc partent de ces zones, cela laisse de la place pour exploiter ces forêts. Les paysans qui ont voulu aller sur les terres spoilées, ont été massacrés par les narcotrafiquants, alliés à l'armée.
La Colombie ce n'est pas que de la coca partout pour autant.
Légalisation: La loi de 1994 a autorisé la possession d’un gramme de cocaïne pour usage personnel. Cela a mis de la drogue partout, y compris au pied des lycées car il y en a trop.

Extrême violence dans le livre : Caryl Férey reconnaît que ça « décède pas mal ». Il n'aime pas les méchants ou les serial Killer. De ce fait, il aime bien tuer des méchants parfois.

Y a des zones qui sont décrite dans le livre où Caryl Férey n'est pas allé. Des zones interdites d’accès.
Par contre le quartier du Bronx à Bogota, il s’en est approché. Ce quartier n’est qu’à 500 m du palais présidentiel, il n'est pas allé jusqu'à traverser la rue pour visiter le quartier. Il a bien senti que cela devenait trop dangereux.
Il y a eu des descentes des forces de l’ordre. Sur place ont été retrouvés 1500 esclaves, de la prostitution infantile, des salles de tortures et de prélèvement d'organes. Ce qui est dans le livre c'est en dessous de la réalité, bien en dessous.

Au sujet de la corruption : les flics attendent pour récupérer de l'argent et racketter à la moindre occasion. Cela peut s'expliquer par des salaires faibles. Et on se venge sur plus faible que soit, c'est ce que font les policiers et l'armée.
Il faut peut-être se montrer patient. Avec le temps cela pourrait peut-être s’arranger. Mais Caryl Férey n'est pas très optimiste sur la situation.
Cela dit, il rappelle qu’à Bogota, ils ont élu une femme à la mairie, qui en plus est lesbienne.


Influences: Caryl Férey adore l'écriture pour ce qu’elle est, pour les mots. Charles Marie René Leconte de Lisle est son auteur préféré. Il cite le poème La Mort d’un Lion.

Caryl Férey se dit violenté par la violence du monde. Il ne réfléchit pas à pourquoi il aime un tableau. Il l’aime, c’est tout, il profite du sentiment, du ressenti.
En faisant attention aux sentiments pour ne pas être manipulé par certaines images.
Petit message au passage : « en France on a de la chance ! Il n'y a que les problèmes des retraites ».

Autre grosse influence : Jacques Brel. Avec peu de mots, Jacques Brel donne des images fortes. Des personnages sont créés en quelques instants.

En Bande son, l’auteur préconise les titres les plus dark d'EZ3KIEL. Caryl Férey écoute les mêmes albums en boucle quand il écrit pour se mettre dans des ambiances. Il plaisante en disant qu’il ne peut pas écouter Vivaldi. Vue la tension qu’il y a dans ses livres, il faut du rock. Pas du rap, ça parle trop.

Actualité.

Actuellement, Caryl Férey écrit sur la Sibérie, Norilsk, ville froide (la plus septentrionale du monde), polluée. Espérance de vie, 10 ans de moins que celle des Russes.
Il a passé 1 semaine là-bas avec un ami. Il a été accueilli par des mineurs, avec de la vodka. Ce qui tombe bien, car il s’était entraîné pour l’occasion, depuis 35 ans.
Tout est pourri là-bas, mais c'est si émouvant.
Ce sera une histoire avec des espions, un cadavre etc. C'est un polar, pour faire la nique aux scandinaves. Cette fois il fera -40°, « c’est bien plus froid que ce que proposent les auteurs scandinaves », annonce Caryl Férey avec un grand sourire.

C’est sur ces mots que s’achève la rencontre, qui nous a permis de découvrir un auteur talentueux, généreux, engagé et qui ne manque pas d’humour.


Nous vous invitons à lire notre chronique de Mapuche : Mapuche