VILLENEUVE MagaliLe 31/10/2007

Interview de Magali VILLENEUVE, illustratrice, réalisée par email fin octobre 2007.

Magali est entre-autre la créatrice des illustrations de couverture des ouvrages Contes Myalgiques I (notre chronique ici) et Jouvence (notre chronique ici) parus aux éditions Griffe d'Encre et également du site internet de Griffe d'Encre.



Retrouvez la sur son portfolio: ici

LAM : 1-Comment es-tu venue au dessin ?

VILLENEUVE Magali : Via les films d’animation. En fait, au départ, je me destinais davantage aux métiers de cette filière-là. J’avais douze ans quand cet engouement subit m’est venu, dans une salle de cinéma pour être très précise, où j’étais allée voir le nouveau Disney en date, à une époque où leurs productions valaient pour autre chose que la drôlerie systématique que l’animation américaine nous assène désormais comme une norme. Je ne dessinais que très peu, en dilettante, comme nombre d’enfants je crois. Mais du jour où je m’y suis mise, si mes souvenirs (et ceux de mes proches !) sont bons, le résultat s’est avéré relativement convaincant. Motivée par cela, mais avant tout par une passion toute neuve, je me suis dès lors consacrée à l’exercice du dessin de façon très assidue et constante, à un âge où l’on est supposé préférer des loisirs beaucoup moins solitaires !

LAM : 2- Comment s’est faite la rencontre avec Griffe d’Encre ?

VILLENEUVE Magali : C’est une anecdote qui me tient à cœur car j’estime qu’elle relève d’un vrai coup de chance. Lorsque j’ai voulu m’orienter vers le milieu de l’édition, j’admets avoir été un peu lente à décider de prospecter les éditeurs. Je trouvais toujours une bonne raison de me dire que mon book devait être plus dense, plus abouti, que je pouvais faire mieux, qu’avec mon bagage brinquebalant d’autodidacte il n’y aurait pas de place pour moi… Bref, la panoplie complète symptomatique d’un gros manque de confiance en soi ! Néanmoins, un jour, mettant à profit un petit regain de bravoure, j’ai envoyé mes premiers mails. Je me souviens même de la date car j’ai gardé ceux émanant de Menolly : c’était le 13 janvier 2006. En l’occurrence, à l’époque, je ne postulais pas auprès de Griffe d’Encre qui n’existait pas encore officiellement et ne s’appelait même pas encore ainsi ! Je proposais mes services à l’équipe de Parchemins et Traverses dont Menolly faisait partie. Le lendemain même de ma première salve de candidatures, je recevais donc ce message quelque peu inespéré dans lequel l’on me faisait part de ce projet en devenir et de la place qu’il pourrait y avoir pour mes dessins. C’était embryonnaire, et j’étais alors loin de soupçonner l’ampleur que prendrait mon investissement auprès de l’équipe de Griffe d’Encre. Néanmoins, je peux vous assurer que ce seul petit mail a suffi à déboucher une bonne bouteille de… jus de fruits (oui, certains illustrateurs vivent dangereusement !!)

LAM : 3- La lecture de l’intégralité de l’ouvrage est-elle un préalable obligatoire ?

VILLENEUVE Magali : Si elle l’est, alors je constitue une exception honteuse ! J’ai cependant des circonstances atténuantes : si je devais lire tout ce que j’illustre, ma production diminuerait de moitié ! En termes de temps pur et simple, je ne peux pas me le permettre. Ensuite, ce serait envisageable si j’étais une lectrice « rapide » ce qui est loin d’être le cas. Aussi, je me repose exclusivement sur les indications que me fournissent les éditeurs. Il peut s’agir de directives plus ou moins précises, assorties ou non d’extraits. Généralement, cela me suffit. J’estime qu’une des parts de mon métier consiste à savoir pressentir l’esprit d’une œuvre grâce aux simples synthèses qui m’en sont faites. C’est forcément d’autant plus facile quand l’éditeur sait être précis et clair quant à ses attentes, ou que l’auteur s’avère tellement talentueux que quelques paragraphes suffiront à laisser filtrer l’ambiance générale de son récit. Jusqu’ici, cette méthode ne m’a pas trop desservie, bien que je sois consciente que le faux pas me guette à chaque nouvelle couverture. C’est une grande responsabilité que de servir de « devanture » au travail de quelqu’un d’autre, quand on sait l’impact que peut revêtir la présentation d’un livre auprès d’une certaine clientèle. Quand je travaille, je garde constamment cette notion à l’esprit, soit que mon intérêt personnel ne peut être le seul à compter à mes yeux. Il y a aussi celui de l’auteur auquel je dois au moins d’offrir le meilleur de mes capacités.

LAM : 4- Y a-t-il un travail en interaction avec les auteurs ou les éditeurs ?

VILLENEUVE Magali : Avec les éditeurs c’est assez variable puisqu’il semble en réalité qu’il y ait autant de manières de procéder que de commanditaires ! Il y aura les éditeurs très impliqués dans le processus créatif, comme c’est le cas chez Griffe d’Encre, où, tout en vous laissant une grande latitude sur le fond et la forme de votre illustration, ils aiment malgré tout à être spectateurs de son évolution, proposer, suggérer, toujours de façon stimulante puisque non aliénante.

D’autres seront plus en retrait, une fois leur aval donné sur le rough (= crayonné), ils attendront le rendu final, demanderont éventuellement quelques retouches et s’en tiendront là.

Pour ce qui est de l’interaction avec les auteurs, de manière générale, elle n’a pas lieu puisque qu’il relève du rôle de l’éditeur de donner une direction à la couverture, en accord avec la ligne éditoriale ou sa vision de l’ouvrage. Je pense que cette absence d’interaction est plutôt une bonne chose en réalité. D’aucun dirait que nul mieux que l’auteur peut être à même de transmettre le fond, le sens, de son œuvre. Dans l’absolu, c’est vrai, bien sûr. Mais par le fait, ainsi que leur degré d’implication vis-à-vis de leur travail, ils peuvent également manquer du recul nécessaire à la conception d’une illustration de couverture qui ne sera jamais qu’une synthèse incomplète et soumise à la subjectivité d’un autre. J’imagine fort bien l’inquiétude de l’écrivain qui se demande à quelle sauce graphique « l’emballage » de son récit va être servi, mais à mon sens, c’est un mal nécessaire. De plus, je crois sincèrement que la majeure partie des illustrateurs possède et cultive cette faculté d’empathie. Après tout, l’essence même de notre travail qui consiste à prendre les émotions d’un autre pour les convertir selon son propre mode d’expression, c’est déjà un réel processus d’empathie.

LAM : 5- Tu as illustré le site internet de Griffe d’Encre, un recueil de nouvelle de fantasy, une novella de science fiction… Le travail de création a-t-il été différent pour ces différents projets ?

VILLENEUVE Magali : Pour ce qui est de l’illustration du site, il est clair que cela n’a rien à voir avec la réalisation d’une couverture. D’une certaine manière, c’est plus reposant. Puis en l’occurrence, il s’agissait de décliner la mascotte de Griffe d’Encre, et je peux vous assurer que lorsque votre style se situe dans un genre réaliste, avec toutes les contraintes que cela induit, dessiner un chaton plutôt « cartoon » dans des situations diverses et variées tient vraiment lieu de récréation ! De plus, cela occasionne des échanges amusants, dénués du minimum de solennité nécessaire lorsqu’il s’agit d’une couv. Cela se passe, dans le cas de Griffe d’Encre, sur un forum privé où je poste mes propositions pour que les membres de l’équipe puissent réagir. Lorsque nous travaillons sur les mascottes, on peut laisser libre cours à un état d’esprit un peu plus délirant que d’ordinaire, donnant lieu parfois à des mises en scène quasi inavouables que nous partageons désormais, pour certaines, dans la section « la mascotte : album » du site de la maison d’éditions.

Ensuite, concernant les différences dans le processus créatif entre la couverture de Jouvence et celle des Contes Myalgiques, elle réside principalement dans le genre abordé. Le mécanique contre l’organique, le « matériel » contre l’éthéré, un genre qui m’est étranger contre un autre dont je suis coutumière, en somme.

LAM : 6- L’illustration de Jouvence été ton premier pas dans l’illustration d’une œuvre de Science Fiction, comment as-tu appréhendé ce projet ?

VILLENEUVE Magali : Avec une certaine appréhension, je dois bien l’admettre. Par essence, je ne suis pas à l’aise avec la matière, et sur cette couverture, il ne s’agissait que de cela. C’était le métal du spatiandre, puis le rendu de la visière qui prédominaient. Je n’avais jamais rien dessiné de tel et pour une première, les difficultés étaient multiples. Le rendu des textures, certes, mais aussi le design des combinaisons, puis le traitement du reflet dans la visière. J’ai donc abordé l’illustration en trois temps. D’abord le casque seul, posé sur le décor. Rien que cela m’a valu quelques sueurs froides dont Menolly, directrice de la collection Novellas, et donc mon interlocutrice lors de la réalisation, pourrait témoigner ! Normalement, quand je me plonge dans une illustration, je ne suis pas vraiment en proie au doute, je fais sans trop me poser de questions et advienne que pourra au final. Là, je n’avais pas l’esprit aussi léger ! Ensuite, une fois le casque et le paysage de fond terminés, c’était une seconde illustration à part entière qu’il me fallait démarrer : celle qui représenterait les deux autres personnages, inclus dans le même décor, mais vu, bien sûr, sous un autre angle, avec leur propre couleur. C’est d’ailleurs cette illustration qui a servi de carte offerte pour les souscriptions de Jouvence. J’ai ensuite appliqué, puis déformé cette image sur la visière, modifié les couleurs pour l’incruster dans le casque et obtenir ainsi le rendu final. En fait, je suis très contente que le dessin du reflet existe sur un support à part. Cela permet aux gens de se rendre compte de la somme de travail en amont, et de dévoiler un peu du processus. C’est une idée que j’aime beaucoup.

LAM : 7- Pour Jouvence, la couverture ne reprend qu’une petite partie de ton dessin. Comment s’est fait ce choix ?

VILLENEUVE Magali : C’est vrai qu’il n’est pas rare que les illustrations se retrouvent pas mal rognées sur le montage final. C’est une question de cadrage dont l’illustrateur n’est pas toujours maître. Lorsque l’on nous donne les directives de départ, elles sont généralement assorties des dimensions voulues, lesquelles comprennent des fonds perdus. Aussi, l’illustration définitive sera toujours un peu plus grande que nécessaire, permettant de l’ajuster ensuite au montage. On serre toujours un peu des dents quand une partie de l’illustration « disparaît », puisque le moindre centimètre carré représente son lot de travail et de soin. Mais le travail de l’illustrateur est soumis aux aléas des chartes graphiques et doit s’y plier pour que le rendu final soit le meilleur possible, bien disposé, cohérent, harmonieux. Quitte à laisser un petit bout d’orgueil de côté.

LAM : 8- Quels sont les artistes qui t’inspirent le plus ?

VILLENEUVE Magali : C’est peut être une réminiscence de mes premières amours, mais la plupart du temps, je suis très attirée par le travail de character designers, que ce soit pour le cinéma d’animation ou le jeu vidéo. Le premier à avoir exercé une quelconque influence sur moi fut Glen Keane, un animateur qui a beaucoup « sévi » chez Disney dans les années 80 et 90. Son coup de crayon est incroyablement instinctif, incisif aussi, juste et pertinent. C’est de l’expressivité pure et sans ambages et en ce sens, presque candide. De l’observation de son travail, j’ai retiré de précieux enseignements : d’une part l’exigence anatomique sans laquelle un personnage finit toujours par apparaître bancal d’une manière ou d’une autre ; d’autre part, combien un simple trait pouvait inverser ou renforcer la force émotionnelle contenue dans un regard, la ligne d’un bras, la courbe d’une mâchoire. Il suffit souvent de peu de choses pour qu’un crayonné relativement insipide gagne en épaisseur et en intérêt.

Ensuite, je puise énormément d’inspiration dans le travail de Tetsuya Nomura, character designer chez Square Enix. Parmi ses réalisations les plus connues du grand public, on trouve les personnages du jeu Final Fantasy VII. C’est son sens de l’élégance, du charisme, la beauté un peu androgyne de ses personnages qui me touchent, son interprétation toute personnelle de la mouvance gothique. Et par-dessus tout, il illustre fort bien le principe que le trop peut être l’ennemi du mieux, que savoir épurer un personnage, une mise en scène, sans se « cacher » derrière une foule de détails est une véritable gageure et la preuve, quand on y parvient sans rien perdre en expressivité, d’un style maîtrisé et assumé.

Je pourrais citer bien d’autres artistes tels Masakazu Katsura, Jason Chan, Linda Bergkvist, Alan Lee… Tous très différents, mais autant de références salvatrices lorsque l’on apprend tout par soi-même.

LAM : 9- Quelle est ta technique de dessin préférée ? Et pourquoi ?

VILLENEUVE Magali : En fait j’ai deux techniques de prédilection que je ne saurais départager et qui sont de toute manière interdépendantes : le crayon tout simple (voire la mine de plomb, souvent) et l’outil informatique. Le premier car c’est ce qui me vient le plus facilement, l’outil avec lequel ma main est la plus libre. Le second parce que cela a été un peu comme une révélation pour moi. Pouvoir faire l’apprentissage de la couleur avec une marge d’erreur pour ainsi dire infinie. En plus du fait que, grâce à l’ordinateur, on peut recommencer et recommencer encore sans gâcher ni toile, ni peinture, ni diluant, et cela n’a rien d’un détail, considérant le coût de ces matériaux. Certes, l’ordinateur, les logiciels, la tablette graphique, tout cela a un prix, mais quand on l’utilise quotidiennement, et que l’on produit beaucoup, l’amortissement est rapide.

Puis, outre l’aspect purement pratique, le fait est que j’ai trouvé dans la colorisation numérique un mode d’expression malléable, me permettant de développer une technique très proche de celui de la peinture à l’huile (les odeurs en moins ^^) et une palette pour ainsi dire impensable via d’autres mediums. Mais comme à mon habitude, j’ajouterai ceci, pour tenter –inlassablement- de tordre le cou à certaines idées reçues encore tenaces : utiliser un ordinateur ne rend pas la tâche de l’artiste plus facile ou moins méritante. La machine ne fait pas le travail à votre place (si tel était le cas, une illustration ne demanderait pas au minimum une trentaine d’heures de travail) et ne donnera pas plus de talent à ceux qui n’en ont pas. Quel artiste dit « numérique » n’a pas entendu de telles aberrations au moins une fois…

LAM : 10- Travailles-tu en musique ? Si oui, quel genre ?

VILLENEUVE Magali : Oui, et mieux encore, je ne peux pas travailler sans musique, elle agit comme un moteur sur mon inspiration ainsi que ma motivation. En la matière, je ne suis pas très éclectique car j’ai le besoin de retrouver un univers sonore familier, peut-être une façon inconsciente de maintenir une certaine cohésion dans mon univers. Puis le fait est que les genres qui m’inspirent sont toujours les mêmes. J’écoute en majorité du métal. Pas sa déclinaison la plus dure, mais plutôt des variantes « symphoniques ». J’ai une prédilection toute particulière pour Within Temptation, Epica et Kamelot qui tournent pour ainsi dire quotidiennement dans mon lecteur. J’aime les rythmes forts, les musiques qui ont du souffle. Je pense (mais je me trompe peut-être !) que quand on regarde mes dessins, on m’imaginerait plus écoutant de gentilles mélopées celtiques teintées de féérie et de mélancolie. Je m’identifie davantage aux partitions de batterie endiablées, aux guitares-démons et aux grunts ^^.

Mes quelques entorses à ces univers-là, je les réserve aux bandes originales de film ou de jeux vidéo qui recèlent de vrais trésors souvent méconnus. Par exemple, j’aime énormément les compositions de Nobuo Uematsu qui allient sonorités classiques et modernes avec un art tout particulier. Dans le domaine des B.O vidéo-ludiques, je recommanderais aussi très volontiers la remarquable « Wander and the Colossus : Roar of the Earth » de Kow Otani, dans laquelle je puise énormément, tant le spectre d’émotions qu’elle recouvre est immense. C’est tout ce qu’une musique évoquant le genre « fantasy » peut contenir de lyrisme et de dimension épique, la mièvrerie et les lieux communs en moins.

LAM : 11- Quelle est la dernière couverture de roman qui t’ait donné envie de lire le livre ?

VILLENEUVE Magali : Il s’agit de la magnifique peinture de Keith Parkinson pour le tome 1 de la saga « l’Epée de Vérité » de Terry Goodkind. Je n’ai acheté le livre que pour cela. Et en vérité, personnellement, à la lecture de l’ouvrage je n’y ai pas trouvé d’autre justification. L’illustration est superbe mais le contenu, à mon sens, ne dénote guère de la même virtuosité !

LAM : 12- Quels sont tes projets futurs ?

VILLENEUVE Magali : Des jeux de rôle, des couvertures de roman, en parallèle à des réalisations pour des supports gratuits pour lesquels j’aime à pouvoir garder un peu de temps. La participation y est certes bénévole, mais l’ambiance quant à elle, sait parfois rester bon enfant et enthousiaste quand le milieu professionnel, en toute logique, se doit d’être plus sérieux. Disons que ce sont deux approches très différentes d’un même métier : faire un dessin pour un webzine c’est comme faire un cadeau, simplement. Faire une couverture de livre c’est donner le meilleur de soi-même pour rendre justice au travail de tous les intervenants en amont.