Autunna et sa roseLe 24/08/2008

Interview réalisée par email auprès de Disorder (auteur-compositeur-musicien) du groupe italien Autunna et Sa rose autour de son album "L'Art et la mort" sorti chez Ark records. L'artiste a eu la gentillesse de répondre directement en français.

LAM : Peux-tu te présenter brièvement ainsi que les autres membres du groupe?

Autunna et sa rose : Autunna et sa Rose est tout à fait mon projet artistique où je travaille à la composition des musiques, comme à l’écriture des textes théâtraux, aux réalisations graphiques et à la production des vidéos pour nos spectacles. Les musiciens qui actuellement soutiennent mon projet et jouent mes compositions s’appellent Sonia Visentin (soprano), Simone Montanari (violoncelle) et Gianluca Lo Presti (basse, guitare, électroniques).

LAM : Tu sembles lié à la langue française comme on le voit en partie dans le nom du groupe et dans le titre de votre album. Quelle en est la raison ?

Autunna et sa rose : Le projet Autunna et sa Rose naquit en 1994 d'après notre idée de créer quelque chose de réellement différent de tout ce qui était en circulation dans cette période. La contradiction qui évidemment se cache sous ce nom (l’automne et la rose paraîtraient en effet deux choses n’ayant rien en commun...) est en réalité motivée par l’histoire même, car c’est juste la contradiction qui a été la clef de voûte de toutes les grandes découvertes de la science et aussi de l’art. Une rose peut-elle naître et croître pendant la « saison des morts »? La réponse est « oui »: j’ai eu l’expérience de cultiver des roses jaunes dans mon jardin, et j’ai vu s’épanouir quelqu’une de ces radieuses fleurs en novembre...

En tout cas, le nom A&SR a d'ailleurs une différente genèse: notre premier CD Sous la robe bleue contenait en effet le morceau Il cammino di Autunna, qui narrait l’histoire d’une jeune fille, vêtue d’une longue robe rouge qui vaguait dans la campagne automnale à la recherche désespérée de l’amour qui devait englober en soi le désir de la chaleur paternelle et aussi celui d’un équilibre avec la nature; à la fin Autunna se détrempe dans le soleil, qui symbolise l’un et l’autre de ses désirs, en se jetant dans les vagues marines à la manière de Virginia Woolf. Son sacrifice d’amour se réalise dans une véritable fusion et pourtant dans une transfiguration au coucher du soleil, avec lequel enfin elle se dissout en se transformant en une rose rouge.

Quant au titre du dernier album, ce n’est pas la première fois que l’on va utiliser la langue française… En effet, après le CD de début, il y eu Né l’être…éternel en 2000 : c’est évident que j’aime cette langue, dès que je commençai à l’étudier et j’étais véritablement jeune, jusqu’au moment où je connus la littérature symboliste et surtout les poèmes de Charles Baudelaire, et bien sûr ses Fleurs du mal. On peut dire que je commençai à écrire des poèmes sous l’inspiration des poètes symbolistes français : en effet, je rappelle aussi quelques uns des mes écrits de jeunesse qui sorti de ma plume directement en français… ! Quelques années après il y a eu la « rencontre fatale » avec Artaud et ses œuvres, probablement l’une des choses qui ont changé ma vie, qui ont réglé l’univers de mes sensations dès ce moment là d’une façon déterminante et irrémédiable. En effet L’Art et la Mort est justement le titre d’une de ses œuvres, plus exactement il s’agit d’un recueil de textes variés, publié en 1929, mais bien sûr contenant même des documents un peu plus datés et qui n’avaient pas trouvé de collocation dans d’autres antérieures publications.

Oui, finalement, Antonin Artaud. Son approche dionysiaque du théâtre a été le fondement de presque la totalité de mon activité. Notre premier CD, Sous la robe bleue a été publié le 4 septembre 1996, incroyablement, et par hasard, juste dans le centenaire de la naissance d’Artaud (j’ai eu l’occasion de découvrir cette coïncidence après quelques mois)! Destin? Je ne sais quoi dire, je sais que ma décision de musiquer le texte qu’il avait joint à l’appui du bulletin de souscription de L’Art et la Mort, avait été absolument inconditionnée. La préface du premier livre d’Artaud que je lus commençait comme ça: «Quand on a lu Artaud, on ne remet pas. Ses textes sont de ceux, très rares, qui peuvent orienter et innerver toute une vie, influer directement ou indirectement sur la manière de sentir et de penser, régler une conduite subversive à travers toutes sortes de sentiments, de préjugés et des tabous qui, à l’intérieur de notre « culture », contribuent à freiner et même à arrêter un élan fondamental. »

Maintenant, lorsque je relis ces lignes, je comprends beaucoup de raisons grâce auxquelles Autunna et sa Rose a eu la force de continuer à vivre, malgré toutes les difficultés économiques et la pauvreté d’opportunités que nous avons eues pendant toutes ces années. Aujourd’hui Artaud ne peut être considéré ni comme un écrivain, ni comme un poète, ni comme un acteur, ni comme un metteur en scène, mais comme un homme qui a tenté d’échapper à toutes ces définitions, et c’est pourquoi sa société lui avait opposé la plus grande résistance possible. Toutefois il eut la force de continuer son œuvre, malgré son internement de dix ans à l’asile psychiatrique. Je crois que dédier sa propre vie à l’art, même si aujourd’hui cela peut sembler un peu « anachronique », est sûrement un signe de force de l’esprit, et s’il fût réellement à cause d’une décision du destin qu’Autunna et sa Rose est né sous la « protection » spirituelle d’Artaud, j’espère que mon projet ne s’arrêtera en face de rien et de personne. Je n’ai jamais accepté de retenir cet élan fondamental qui m’a souvent conduit jusqu’au point de sacrifier ma vie et mon argent, puisque je me sentais réellement obligé à prendre telles décisions, pour satisfaire un besoin presque rituel: en effet, c’est l’instinct du sacrum facere, de faire quelque chose de sacre pour soi-même et pour sa propre vie qui peut vaincre chaque frein intérieur...

C’est pourquoi chaque notre performance doit encore commencer avec le morceau L’Art et la Mort, qu’aujourd’hui nous jouons dans la version prolongée de Qui, au sein.. .. Un début qui paraît aussi une fin, et en effet je crois qu’il crée toujours un sentiment d’écartement à l’audience de nos spectacles: cela, selon moi, c’est le théâtre de la cruauté...

LAM : Vous avez un packaging très spécial et personnel pour votre album. Peux-tu nous en parler plus ?

Autunna et sa rose : La forme esthétique d’une œuvre musicale n’est importante qu’en relation avec ce qui doit communiquer. Autunna et sa Rose naquit comme un projet musical-théâtral avec le but fondamental de rejoindre les langages communs de la musique et de la poésie dans une forme dramatisée qui pouvait donner une expression véritablement accomplie aux tourmentés mouvements de l’esprit. C’est pourquoi, symbiotiquement avec le primaire lien musique-littérature, plusieurs influences sont de suite parvenues d’après d’autres langages artistiques comme la cinématographie, les arts figuratifs et le théâtre, vu comme but idéal de l’« art total », la véritable summa de tous les arts. En effet, pour notre première œuvre sur CD on avait déjà choisi un artwork qui pouvait exprimer les diverses sollicitations provenant de plusieurs arts, comme précisément le cinéma, qu’on a évoqué sur la pochette de l’album, projetée à partir d’un photogramme de la pellicule La double vie de Véronique de Kieslowski.

Les formes musicales ont donc toujours vécu dans un état de dépendance de la théâtralisation imposée par les textes, ou, plus en général, des thèmes des narrations. Cette idée de la théâtre-musique, au notre point de vue, n’est rien de si bizarre : c’est en réalité la façon la plus naturelle et en même temps complexe et élaborée pour exprimer d’une façon réellement accomplie nos émotions que nous voulons transmettre comme une essentielle contribution énergétique de l’esprit. Le spectateur/auditeur est donc emmené à travers une sorte de dramatisation théâtrale multi-médiale qui, absolument loin de formes de snobisme, représente au contraire le moyen privilégié pour révéler ses craintes, pour faire les sortir avec ses joies enfouies et en apporter à la surface la force qui y est intrinsèquement cachée.

C’est l’idée du Gesamtkunstwerk (l’œuvre d’art total d’inspiration sécessionniste viennoise) que l’on a au commencement suivie, et qui représente sans aucun doute notre but idéal : on a donc prétendu que les divers langages s’entrelacent et même se fondent dans une unité raffinée, qui peut être perçue avec une disposition d’âme où le spectre émotive et réceptive soit nécessairement amplifié. Quoique notre œuvre ait sa meilleure expression dans un contexte qui ne peut se réduire au froid disque métallique - au delà des avantages donnés par la création et la diffusion d’un produit, un objet de mémoire qui peut être partagé avec des gens lointains et aussi en temps lointains - le disque est regardé comme un objet qui peut englober en soi le plus grand assortiment de médias d’une façon interactive et suggestive. En effet, la recherche graphique peut être aussi vue comme un point de départ ou même une réduction de quelque chose de « supérieur » : chaque page de la pochette de L’Art et la Mort veut offrir une correspondance visuelle à chaque morceau de l’album, pour mieux explorer les nuances que paroles et sons y expriment ; les images représentées introduisent ainsi les atmosphères, comme par exemple le lit de torture d’Antonin Artaud qui est aperçu pendant que nos yeux sont gagnés par la vision spectrale de l’électrochoc et nos oreilles sont troublées par des voix effrayantes, celles qui occupent despotiquement le cerveau du Mômo. De plus, on n’a pas choisi au hasard pour le booklet le format A5 horizontal, puisqu’il doit en effet simuler un écran miniaturisé en format 4:3 : d’autre part, une vidéo n’est que des images en mouvement. C’est pourquoi on a aussi commencé, depuis presque deux ans, à produire des vidéos que l’on projette pendant les spectacles, car ils ont été créés sur l’inspiration et les suggestions directes données par les morceaux qu’on joue habituellement.

LAM : Es-tu plus influencé par le romantisme du XIXème siècle ou, plus probablement, par les groupes dont vous avez fait des reprises ?

Autunna et sa rose : Je crois que mes influences soient décidément plus proches à la musique de la période romantique, même si cela est plus évident dans les morceaux que j’ai composés il y a quelques années, surtout dans les compositions de la période la plus proche au début. Actuellement je m’aperçois d’être de plus en plus influencé par les auteurs et plus en général la musique du XXe siècle. Néanmoins, toute la musique que j’ai écoutée pendant les derniers 20 ans peut avoir bien sûr influencé la forme et le choix artistique de mes compositions, donc aussi le Gothic et la New-Wave.

LAM : Combien de temps a-t-il fallu pour écrire les textes de cet album?

Autunna et sa rose : Ce projet tire sûrement origine des sources littéraires qui ont contribué à sa création, même quelques morceaux ont été composés – en forme embryonnaire – pendant les premières années de mon activité. Mais le concept d’ensemble a eu ensuite une évolution radicale dans une direction qui a devenu tout à fait définie seulement en automne de 2004. Là d’autres morceaux, qui étaient absolument fondamentaux à l’intérieur de la complexité et de la structure globale du projet, devaient être encore composés.

LAM : As-tu d’abord écrit les textes et trouvé ensuite la musique adéquate ou as-tu composé la musique et ensuite trouvé les textes ?

Autunna et sa rose : L’entier projet pour L’Art et la Mort a eu son origine d’après les textes littéraires, donc tout a été modelé sur le squelette des extraits des auteurs célèbres.

LAM : Qu’est-ce qui t’inspire pour créer la musique et les paroles?

Autunna et sa rose : La réponse à cette question est implicitement déjà présente dans la plupart de ce que j’ai jusqu’ici exposé, surtout à l’intérieur des réponses aux questions 2 et 3. On peut alors rappeler l’élan fondamental qui m’a plusieurs fois emmené à sacrifier moi-même et ma vie : il y avait un besoin presque rituel à satisfaire, il y avait - et il y a également aujourd’hui - la nécessité d’exprimer d’une façon réellement accomplie mes émotions, de révéler ainsi mes craintes, pour faire les sortir avec ses joies enfouies, en définitive, de mettre à nu mon cœur. En un seul mot : dramatisation (personnelle). Tout cela offre la naturelle inspiration et tout est pareillement conçu en fonction d’une possible représentation en face d’une possible audience. Même si au moment où les textes sont écrits, rien n’est encore prémédité à propos de leur publication ou adaptation en forme musicale, il pourra naturellement arriver à l’avenir qu’une sélection de ces écrits soit choisie pour être dramatisée. L’inspiration musicale proprement dite surgit à ce point au bord de la vague affolée sur laquelle la poésie danse insouciamment.

LAM : Avec quels groupes te sens-tu relié d’un point de vue artistique?

Autunna et sa rose : Joy Division, Tuxedomoon, Nick Cave, Einstürzende Neubauten, Mahler, Berg, Messiaen, Schönberg, Wagner, Young Gods, Schumann, Nyman, Dead Can Dance, Endraum, Ataraxia, Goethes Erben, Berio, Varèse, Stravinskij, etc.

LAM : Comment vois-tu les concerts? (avec beaucoup de décors et des costumes spéciaux ou très discrets) ?

Autunna et sa rose : Nous avons toujours utilisé une approche théâtrale dans nos spectacles: en août 2000 nous avons aussi représenté le spectacle multimédiatique Né l’être…éternel, qui avait en effet une vie propre et pourtant autonome de l’œuvre à la quelle il était naturellement inspiré (et dont une vidéo MPEG est encore disponible sur le site web officiel www.ederdisia.com). On voudrait même à l’avenir réaliser le Sturm, l’unique pièce de théâtre-musique effectivement accomplie, comme jusque d’abord elle a été conçue : actuellement ce qui manque est la collaboration avec un metteur en scène théâtral pour la représentation de l’œuvre.

En tout cas, nos performances n’ont jamais eu une connotation strictement musicale, mais en effet grâce à l’introduction de plusieurs monologues et actions scéniques nous avons toujours essayé d’approcher une recherche expressive fondée sur l’accentuation d’une gestualité étudiée, avec l’intention évidente d’emmener le spectateur dans une atmosphère écartée de l’environnement naturel. La préparation pour une performance live est pourtant souvent soigneuse, surtout si la place pour le concert va être particulière (p.ex.: un petit théâtre, une église, un auditorium, etc.), parce que nous essayons d’adapter notre présence et notre spectacle au contexte où l’on va nous trouver. Pour obtenir une telle sorte de résultat, ce qui devient la chose la plus importante n’est pas le décorum, dans le sens spécifique d’apparat scénique ou même l’emploi des costumes (bref, pas de mascarades!) - quoique nous utilisions quand même plusieurs objets sur la scène, qui ont surtout des signifiés symboliques et que je manipule pour établir une forme de communication « à plusieurs niveaux » - mais plutôt l'emploi recherché, combiné à la musique ou même dégagé, des voix, des récitations et, depuis quelques années, autant des vidéoprojections synchronisées à la musique.

LAM : Quels sont vos projets immédiats?

Autunna et sa rose : Dans cette période je suis en train de travailler au prochaine œuvre d’Autunna et sa Rose (une des raisons de mon retard dans l’achèvement de cette interview… Pardon! Une autre raison… lisez jusqu’au bout !), c’est-à-dire un concept album sur l’amour poétique, précisément sur les rapports de réciprocité entre l’art, la poésie et l’amour romantique, de la façon où les premières nourrissent le seconde et vice-versa, dans une perpétuelle régénération. Toutes les interventions sonores naissent à partir de plusieurs écrits que j’ai produits depuis quelques années ; ensuite, les textes ont été musiqués, toujours selon de différentes techniques, et toujours d’une façon absolument non-conventionnelle.

A côté de ce travail, on va aussi réaliser pour l’automne le début discographique du nouveau projet d’improvisations électroniques POLLOCK, inspiré à la mémoire du grand peintre américain : une anticipation de cette sortie peut être écoutée avec le morceau Widerseeträume, récemment publié dans la web-compilation In the Dark Room Vol. I, que l’on peut télécharger du site http://www.darkroom-magazine.it/ita/compilation1.php