BORDAGE Pierre Le 27/11/2004

Inteview réalisée par Xavier, pour le roman l'Enjomineur sorti aux Editions l'Atalante. Cette fois Pierre BORDAGE mélange l'Histoire et la Fantasy en mettant en scène plusieurs personnages qui sont pris dans le tourbillon des événements de la révolution française en Vendée et à Paris. Vous pouvez allez lire une chronique dans la section littérature.

LAM : Merci Monsieur BORDAGE d’accepter notre interview et bonjour.

BORDAGE Pierre : Bonjour.

LAM : Pour votre dernier roman l’Enjomineur vous avez inséré l’aventure dans l’histoire française, en y ajoutant un peu de fantastique, qu’est-ce qui vous a donné cette idée de faire un roman historique et fantastique à la fois ?

BORDAGE Pierre : En fait il y a très, très, longtemps que j’avais eu l’envie de faire un bouquin se déroulant pendant la révolution et traitant des guerres de Vendée. Puisque je suis vendéen et j’ai toujours porté cette histoire en moi. Mais je ne voulais pas faire un roman d’historique pur, parce que je trouve que, dans ce pays, on a trop tendance à sacraliser l’histoire, en faire une discipline rigoureuse et réservée à quelques experts. Ce que je voulais c’était m’emparer de l’histoire et pouvoir jouer avec de façon imaginaire en y insérant aussi des légendes et des personnages de fantasy.

C’était vraiment pour moi, ce principe de base, de transformer l’histoire en matière imaginaire, exactement comme le reste. Tout en étant rigoureux sur le plan historique, c'est-à-dire en faisant des recherches, en essayant de respecter au maximum l’histoire, de pouvoir y insérer des éléments qui sont complètement fantastiques, en dehors de la réalité.

LAM : Combien de temps avez-vous passé sur vos recherches, aussi bien sur le plan historique, que sur le plan fantastique ? Quelles recherches avez-vous effectuées ?

BORDAGE Pierre : J’ai fait des recherches types de tous les auteurs de roman historique. Publications, bouquins sur cette période. D’abord j’ai pris conseil auprès d’un ami qui est spécialiste de la période et qui m’a conseillé les bouquins les plus marquants, les plus intéressants, etc. Je suis allé beaucoup sur internet, parce que il y a des sites passionnants et très bien fait qui sont basés sur la vie quotidienne, les éléments pratiques. Pour le légendaire, ça a été très rapide, parce que, il n’y a pas 50 milles bouquins sur les légendes de Vendée. Il y en a 1 ou 2. Et c’est un patrimoine commun à beaucoup de région, les fées, les elfes, les lutins etc. C’était déjà nourri dans l’imaginaire. Donc, ça c’était moins compliqué. Et c’est de l’imaginaire, on peut jouer beaucoup plus comme on veut.

Mais quand même, sur le plan historique. C’est une matière que j’ai toujours aimé l’histoire. Je me suis retrouvé comme à l’école, c’est à dire à noircir des cahiers, en lisant des bouquins, etc. J’ai noirci 4 à 5 cahiers complets, ce qui prend du temps. Ça m’a donné des crampes, j’avais plus l’habitude d’écrire à la main. Ça m’a prit environ 2 à 3 mois à ne faire que de la recherche. C’était assez nouveau pour moi, c’était assez passionnant aussi. J’ai vraiment renoué avec le plaisir de la matière historique.

LAM : Vous faites parler les personnages en patois vendéen, pourquoi avoir respecté cette forme d’expression, quelle importance cela a pour le roman et comment avez-vous retrouvé ce langage ?

BORDAGE Pierre : D’abord ce langage, je l’ai parlé, comme je suis vendéen. Jusqu’à l’age de 10 ans avec mes petits camarades à l’école, ont parlé patois, dans la cours etc. Donc pour moi, c’est quelque chose de naturel. Ensuite, je pensais que c’était intéressant de voir, enfin de montrer comment à l’époque, il y avait des langues régionales différentes. Et que le français tel qu’on le connaît maintenant et tel qu’on le parle maintenant était finalement assez peu parlé hormis la région Centre, l’ Ile de France et justement la Touraine et tout ça. C’est très marrant de voir que c’est la révolution qui a voulu lutter, combattre les langues régionales pour unifier le pays aussi par la langue. Donc c’était intéressant. En même temps, je pense qu’une langue correspond à un pays, à un terroir et que elle n’est pas née comme ça, elle a toute une longue histoire derrière. Et ça explique, aussi, en partie le caractère des gens, qu’elle correspond au caractère et à la façon d’être des gens dans un pays. Ça m’intéressait de renouer avec ce langage de mon enfance. De le faire sonner aussi dans le livre pour montrer les différences qu’il pouvait y avoir et en même temps, c’était une sorte de défit, parce qu’il fallait retranscrire dans un langage relativement compréhensible quand même le patois. Parce que j’ai une grammaire, à la maison, de patois, j’ai un dictionnaire de patois et c’est transcrit de façon, à mon sens... Enfin la façon dont c’est retranscrit augmente plus tôt la confusion et devient incompréhensible pour un lecteur qui n’est pas habitué. Donc, je me suis dis, je vais me souvenir des sonorités passées en essayant de les retranscrire le plus possible dans le langage moderne, c'est-à-dire compréhensible. C’était ça le but du truc. Parce que je pense que cette musique particulière il fallait la respecter et aussi il ne fallait pas éloigner les lecteurs qui n’avaient pas l’habitude de ça. J’ai essayé de faire les deux.

LAM : C’est assez réussit. C’est vrai qu’au début, c’est un peu dur de lire en patois. Et à force, on voit, il y a des sonorités, même si il y a des mots qui échappent, on a le sens de la phrase. Et c’est toujours intéressant.

BORDAGE Pierre : Oui, on s’est posé la question avec l’éditeur de savoir si on mettait un lexique. Moi, je pense qu’un lexique, c’est un aveu de faiblesse, quelque part. Ça veut dire que l’auteur n’a pas réussit à faire passer ce qu’il voulait sans un petit lexique explicatif à côté. Donc, je ne voulais pas de ça. Moi, ce que je voulais, c’était que l’on puisse comprendre dans le texte, même si on ne fait que pressentir le sens. Il faut que ça marche comme ça. Que l’on soit familiarisé avec la langue et qu’on se familiarise petit à petit avec la langue et que le texte se suffise à lui-même. Ça a été un travail là-dessus et moi j’adoré faire ça. Parce que j’ai trouvé que dans la grammaire de patois que j’avais à disposition, ça n’était pas fait dans ce sens là. On sentait qu’il avait une volonté presque d’écrire étranger quasiment. Que ça paraisse comme une langue complètement étrangère. Et je trouve cela un peu idiot parce que c’est du vieux français, finalement. Enfin, c’est du français déformé et il fallait que ce soit écrit comme du français, sauf qu’il est légèrement déformé.

LAM : Vous avez élaborez l’histoire dans quel sens par rapport à vos recherches ? Est-ce que le fait d’avoir fait vos recherches a changé la façon de rédiger l’histoire

BORDAGE Pierre : Oui, c’est une question intéressante, parce c’est vrai que lorsque l’on fait des recherches, on voit qu’il y a des choses qui ne sont pas possibles et que d’autres que l’on avait prévues que l’on ne pourra pas mettre de toute façon. Et en même temps, les recherches ouvrent tellement de fenêtre sur un tas de chose que l’on se dit qu’il y a plein d’éléments. Et du coup c’est de choisir entre tous les éléments qui devient difficile. Et il n’y a qu’une seule façon de choisir. C’est de faire partir ses personnages dans le récit et eux vont forcément traverser des endroits, des épreuves et du coup ça va obliger à préciser ou à se servir des éléments dont on a besoin. Premièrement ça a été la recherche tous azimut qui ouvraient plein de portes, plein de possibilités. Et deuxièmement, ça a été avec les personnages, se servir de toute cette documentation, mais uniquement de ce dont on avait besoin. Et je me suis aperçu après que ce qui me faisait peur au début, c'était de partir avec des personnages. Et comment j’allais faire pour gérer toute cette masse historique, il y a tellement d’écrits, tellement de choses là-dessus. Et finalement, ce sont les personnages qui imposent le choix. Parce qu’ils traversent un champ. Le champ il est comme ça. Il rencontre telle personne, qui habite tel endroit et cette personne est habillée comme ça, elle parle comme ça… Avec les personnages, on est obligé de vraiment faire un choix sur la documentation. Parce que c’est énorme. Sur la révolution quand vous tapez des sites internet sur la révolution. C’est affolant. Il y a des milliers et des milliers de pages. A un moment, il faut faire un choix. Il faut partir et puis… C’est avec le roman, retrouver la matière romanesque qui fait que tout ça prend un sens finalement.

LAM : Justement au niveau de la construction dans votre façon d’écrire, est-ce que vous écrivez déjà toute votre histoire ? Est-ce que vous avez déjà un scénario complet ? Est-ce que vous faites une sorte de story-board ou est-ce que vous écrivez un peu dans le désordre ? Est-ce que vous cherchez à avoir la fin de votre histoire et après revenir ?

BORDAGE Pierre : Non, j’écris dans l’ordre. Je suis quelqu’un d’ordonné… Non. Enfin, je fais assez peu de synopsis ou de scénario en général. Mais là, j’étais obligé, parce que justement, si on ne fait pas ça, on peut partir dans une recherche de doc tous azimut, qui sert à rien. Alors que là comme on trace un itinéraire… C’est surtout ça que j’ai fait. J’ai tracé des itinéraires. Mon personnage va de où à où. Il fait quoi ? Et c’est comme ça que j’ai pu un peu sérer la documentation. Mais comme toujours, dans un roman, il y des choses imprévues qui arrivent. Il y a des personnages imprévus qui s’imposent, d’autres que l’on prévu de garder longtemps qui meurent, etc… Et donc, du coup, il y a quand même un travail d’improvisation à faire et donc mes personnages m’emmenaient dans un endroit que je n’avais pas prévu, par instant. Et donc, il fallait que j’aille de nouveau repuiser de la doc concernant un endroit ou un moment précis. Mais l’un dans l’autre, c’est le travail de romancier. Ça se passe comme ça tout de temps. Les personnages ont leur autonomie, vivent etc. Et c’est ça qui est intéressant aussi. C’est d’être soi même surpris par ce qui se passe dans son bouquin. Et c’est pas mal, je trouve.

LAM : Votre roman l’Enjomineur commence en 1792, vous avez choisit d’en faire une trilogie, pourquoi avoir choisit ce format ? Pourquoi pas plus ou moins au niveau des années ?

BORDAGE Pierre : Parce que je pense que, d’une part, je me suis vite rendu compte que je ne pouvais pas le faire en un seul volume et que les trois années importantes pour cette histoire là (les guerres de Vendée) à mon sens c’est : 1792, car c’est le frémissement et la montée de l’opposition vendéenne à la Convention. 1793, c’est la vraie guerre, la guerre officielle entre les armées de la République et les armées dites royalistes. Et 1794, c’est l’extermination, c’est la solution finale. C’est les colonnes infernales. C'est-à-dire la décision par la Convention, pour des raisons purement politique d’ailleurs. C’est cela qui est intéressant de complètement détruire un pays. Détruire, c’est massacrer hommes, femmes, enfants, bétail, brûler… Faire une politique de terre brûlée. Et ça se termine en 1794 avec une extermination et une sorte de traité après qui débouchera plus tard sur le Concordat de Napoléon. Mais les 3 années fortes de cette histoire c’est 1792,1793 et 1794. Et je voulais montrer une sorte de progression, une montée presque exemplaire que l’on retrouve maintenant dans beaucoup de guerres et de conflits entre le début, le mécontentement, le durcissement, la radicalisation des choses. Et les vendéens se sont radicalisés aussi en même temps que la Convention. C'est-à-dire qu’ils se sont regroupés autours de valeurs chrétiennes et royalistes alors qu’ils ne l’étaient pas plus que cela au départ. Et puis les excès qui sont l’extermination et la souffrance de la population civile. Et c’est dans ces trois années que ça se fait.

LAM : Lorsque vous écrivez, retouchez-vous souvent vos textes ? Est-ce que vous les faites lire à votre entourage ?

BORDAGE Pierre : Alors, maintenant il y a l’ordinateur. L’ordinateur change un peu les choses, parce qu’on n’a plus les vestiges de son travail d’écrivain car on efface. Donc on ne sait plus très bien ce qui se passe. Je les retouche au fur et à mesure, jusqu’à ce que je sois content de la façon dont ça sonne. Dès fois, j’écris trois pages sans les retoucher, car ça sonne bien et ça roule tout seul. Et puis des fois, je vais ramer une journée sur un paragraphe quasiment, parce que ça passe pas. Donc une fois que je suis satisfait… Je travaille chapitre par chapitre, je le tire, je le corrige sur papier, je le fais lire à ma femme et il a des corrections et tout ça. Et comme ça j’ai une vision, déjà elle ne dit si je ne délire pas trop ou si je ne m’en vais pas n’importe où. Et en suite, si je ne fais des erreurs de grammaire ou de style, enfin tout ça. Et une fois que j’ai ses réflexions à elle, les miennes, je mets tout ça à reposer dans un coin et une fois que le livre et fini, je reprends tout à zéro. Je re-rentre toutes les corrections que j’ai prévu. Puis je fais un tirage, que je relis de nouveau sur papier et de nouveau je refais des corrections. Et en général c’est à ce moment là que j’envoie à l’éditeur.

LAM : Comment élaborez vous la personnalité de vos personnages ? Est-ce qu’ils doivent avoir des caractères très typés ou peuvent-ils être plus ambigus ?

BORDAGE Pierre : J’essaie de m’écarter de cette tendance de la Fantaisie qui est de créer des personnages tout d’une pièce, de la lutte éternelle du bien et du mal. J’essaie de faire en sorte que ce bien et ce mal soit en chaque être humain, chaque personnage et que chacun a à combattre ses propres pulsions, à évoluer... J’aime pas trop les personnages… mêmes les méchants, je m’arrange pour qu’ils aient un côté… Il faut des méchants aussi. Les bons romans sont avec des bons méchants. Les méchants sont des personnages très importants à faire. Il faut de beaux méchants, de vrais méchants. Mais aussi, ce qui est intéressant c’est de leur donner une parcelle d’humain et de souffrance. Ce qui fait que leur « méchanceté » ne soit pas totalement gratuite et uniquement pour mettre en valeur le héros, mais pour que ce soit aussi presque une part de sacrifice d’eux même. Jouer le rôle du méchant ce n’est pas évident (rire). Donc il faut leur rendre cette grâce là. Et mes personnages sont plus ambigus que cela, ils sont plus tiraillés. Par exemple dans l’Enjomineur, j’ai Emile qui est le personnage qui est soit disant le personnage du côté des gentils. Mais qui a aussi une grande violence intérieure, qui ne l’a pas encore trop manifesté pour l’instant, car il n’a pas encore été trop impliqué dans la guerre. Mais quand il va être impliqué dans la guerre, il aura cette tendance très violente. Et puis l’autre Cornuaud qui lui est le personnage noir. Et qui est envoûté, qui transporte en lui un démon et qui le rend d’une violence extrême. Lui il cherche désespérément à échapper à ça. Il essaie de trouver des exorcistes, des sorciers qui vont le sortir de cette malédiction. Et il est aussi victime de sa violence, qu’il en est coupable. C’est ça qui m’intéressait de chercher.

J’ai un personnage que j’ai beaucoup travaillé comme ça qui s’appelle Abzalon (cf Abazalon aux Edition l’Atalante) où c’est un tueur. Une sorte de dingue qui éclate le cerveau des nanas et leur prend le cerveau à pleine main. Enfin bon. Je ne suis pas parti avec le personnage le plus sympathique de la création, mais justement, j’ai essayé de voir si même ce personnage là qui était aussi destructeur, aussi violent pouvait évoluer. Et oui, il y a une évolution, parce que un jour, il y a une femme qui porte sur lui un regard d’amour. Et cela change complètement les choses.

Donc, ça m’intéresse beaucoup, justement, de travailler les personnages dans le sens d’une évolution. Et de pas porter un jugement entièrement négatif sur les personnages mauvais. C'est-à-dire, aimer mes personnages mauvais, en gros. Comme le Christ le faisait en disant : « Aimez vos ennemis ». Je pense qu’un romancier doit aimer ses méchants.

LAM : Est-ce que vous mettez un peu de vous-même ou de vos amis dans vos personnages ?

BORDAGE Pierre : Si je le fais, c’est totalement inconscient. Je pense que les personnages ont leur propre logique, leur propre fonctionnement, leur propre histoire et qu’ils agissent par rapport à leur propre histoire. Mais évidement, leur propre histoire ayant été créée par moi et moi étant nourri de tout un tas de chose et entre autre de mes relations avec les autres gens, avec mes amis, avec tout ça. Evidement qu’ils sont nourris d’une manière ou d’une autre de moi. Mais je ne peux pas dire dans quelle proportion, je ne peux pas dire exactement comment et je pense que même si on créé des personnages en s’inspirant de soi et l’on se dit j’aimerai bien que ça et ça, que ces personnages vous dépassent et qu’ils acquièrent leur autonomie et qu’ils deviennent des personnages vraiment autonomes, indépendants de l’auteur. Et qu’ils se nourrissent, si ils sont nourris de l’auteur au départ, ils se nourrissent d’eux-mêmes au fur et à mesure. Et c’est ça qui surprend peut-être l’auteur, c’est que ses personnages qu’il avait plus ou moins conçus et cætera, lui échappent et prennent une dimension qu’il n’avait pas soupçonnait. Ça c’est vraiment intéressant, je crois.

LAM : La part fantastique dans L’Enjomineur – 1792 est assez légère, est-ce que ce sera plus développé dans les romans à venir ?

BORDAGE Pierre : Selon la nécessité. Je ne voulais pas que ce soit… qu’il y ait une part trop importe qui soit accordée à la fantasy. Je voulais quelque chose qui soit plus en toile de fond. Comme un personnage est soupçonné d’être le fils d’une fée. Que l’on ne connaît très bien la naissance. Sur lequel on se pose des questions, il est possible que l’on ait un peu plus d’explication la dessus dans les tomes suivants. Mais la matière principale sera les personnages humains, mais il y aura toujours en toile de fond la fantasy ou le fantastique. Il y aura peut-être des moments ou ce sera plus important, parce qu’il y a plusieurs parties de fantasy ou de fantastique dans le livre. Il y a les légendes du terroir, des légendes des régions françaises. Il y a le vaudou, qui est la magie africaine. Et il les sociétés secrètes aussi, comme les femmes aux serpents, tout ça. Il y a tout ça qui est mélangé. Tout prend plus ou moins d’importance selon le contexte. Mais quand même, la matière principale reste l’histoire, je crois.

LAM : Au niveau des clubs révolutionnaires que vous avez utilisez dans le roman, comme le club Saint Vincent. Ce sont des clubs qui ont vraiment existé ?

BORDAGE Pierre : Oui absolument. Le club Saint-Vincent à Nantes était le club Jacobin à Nantes. Oui, oui, les sections à Paris, enfin, toute cette infrastructure révolutionnaire, je ne l’ai pas du tout inventée. J’ai gardé les mêmes noms des clubs, et il y a des personnages d’ailleurs, qu’on retrouve dans les clubs de Saint-Vincent, qui sont dans l’histoire nantaise et qui deviendront après les sbires de Carrier, ce genre de choses. Donc tout ça c’est le mélange entre justement l’imaginaire et l’Histoire. C’est ça qui m’intéressait : c’est qu’à un moment, on ne sait plus si c’est l’Histoire ou le roman.

LAM : Est-ce que vous vous êtes déplacé sur les lieux que vous décrivez pour voir si l’histoire cadrait bien ou pour avoir justement une meilleure représentation des lieux ?

BORDAGE Pierre : De toute façon, on a assez peu idée de la façon dont les villes étaient en 1792. Elles étaient très différentes de maintenant. Il y avait une part médiévale plus importante. Sur Nantes, par exemple, je me suis beaucoup documenté pour voir l’évolution de la ville. Je connais la ville puisque j’y ai fait mes études donc j’étais imprégné de l’histoire de la ville enfin de l’ambiance de la ville. Et je n’ai pas eu besoin de me déplacer, simplement avec la doc, cela me rappelait tout. Enfin, je voyais très bien, j’ai un plan de 1760, je travaille avec ça. Paris, bah la même chose, comme j’y ai habité assez longtemps, je vois un petit peu comment est la ville et j’ai essayé d’imaginer comment elle pouvait être en 1792 avec le Châtelet, les Halles, les rues médiévales, l’espèce de manque d’hygiène, le côté étouffant de la ville et tout ça. Et puis pour la campagne vendéenne, même chose : je suis né en Vendée donc je connais la campagne vendéenne donc je n’ai pas eu besoin nécessairement d’aller sur les sites. Parce que de toute façon, je pense que les sites de maintenant et les sites d’avant, même les sites de batailles, n’ont strictement plus rien à voir. Parce que dans les campagnes par exemple y’a moins de forêts, alors que le pays à l’époque c’est un pays qui est complètement couvert de forêts, de bruyère, donc c’est une sorte de lande qui est très très propice à la guerilla. Les vendéens avaient une façon de combattre où ils apparaissaient d’un seul coup et ils disparaissaient aussitôt et on savait plus où ils étaient parce qu’ils étaient disparus dans la nature environnante. Mais tout cela n’existe plus, tout cela a été cultivé, et donc c’est très difficile… Il faut vraiment reconstruire cela par l’imaginaire et c’est plutôt ça qui m’intéresse, partant des souvenirs que j’ai de tous ces lieux-là, c’est de les reconstruire dans l’imaginaire tel que moi j’imagine qu’ils pouvaient être à l’époque.

LAM : Vous avez terminé la trilogie ou est-ce que vous écrivez encore dessus ?

BORDAGE Pierre : Non, j’écris encore dessus, je n’ai pas terminé. Je travaille dans les VRAIES conditions du feuilleton (rires). Aussitôt que j’ai eu fini le tome 1, ça a été publié et je n’avais pas commencé le tome 2 donc. Au début je voulais faire qu’un livre et je me suis rendu compte que ça ne serait pas possible et donc je suis obligé de segmenter ça en trois volumes. On ne pouvait pas attendre que j’aie fini les trois pour publier le premier, ça servait à rien.

LAM : Est-ce que vous lisez beaucoup actuellement ou avez-vous beaucoup lu dans le passé ?

BORDAGE Pierre : Oui, j’ai lu pas mal mais là malheureusement j’essaie de lire encore mais par exemple pour ce roman-là j’ai dû me farcir 50 bouquins sur les guerres de Vendée et la Révolution, ce qui me laisse peu de temps pour le reste. Et donc ça j’en suis un peu désolé parce que je suis en train d’accumuler un retard sur mes lectures et je pourrai jamais le rattraper donc je suis obligé de lire les bouquins qui me paraissent les plus importants à lire et puis de laisser plein d’autres de côté. Ca m’embête un peu, parce que en plus j’ai plein de collègues, je connais plein de gens maintenant du milieu et j’aimerais bien savoir ce qu’ils font et tout. Mais je n’ai plus vraiment le temps.

LAM : Quel est votre roman préféré (de tout ce que vous avez lu depuis que vous êtes petit)?

BORDAGE Pierre : UN roman, ce serait difficile. J’en ai 4 ou 5 qui m’ont vraiment marqué. Il doit y avoir… pfff même plus que ça… euh… plus que ça sûrement. Donc disons, Chroniques martiennes de BRADBURY, Dune de F.HERBERT, je surprendrai personne… En Terre Etrangère de HEINLEIN , Le sabre et la pierre un roman japonais de YOSHIKAWA, qui est un roman sur le Japon médiéval qui est à mon avis un des romans fondateurs ou très important du Japon. La Stratégie Ender d’Orson Scott CARD… Je vais en oublier, c’est ça qui est terrible ! (rires) Le seigneur de l’instrumentalité de Cordwainer. SMITH, beaucoup en fait d’américains et de classiques américains, je m’en rends compte dans la liste. J’ai vraiment découvert la SF un peu tard moi, dans les années 73-74 et donc je me suis retrouvé à lire les auteurs de l’age d’or américain entre 50 et 70 donc c’est eux qui ont quelque part formaté mon esprit. Ah non ! Je voulais en dire un qui m’a vachement impressionné qui s’appelle Replay de K. GREAMWOOD, ce n’ai pas du tout un bouquin nouveau, mais il est assez marrant pour ceux qui ont passé la quarantaine et où le héros a la possibilité de refaire sa vie en se souvenant de ses vies d’avant. Ca a été retranscrit, enfin réadapté au cinéma dans un film qui s’appelle « Le jour sans fin » mais le bouquin est cent fois plus intéressant, beaucoup plus riche au niveau philosophique… c’est un bouquin qui m’a assez épaté.

LAM : Justement en dernière question, je voulais ce que vous pensiez des adaptations de romans au cinéma puisque vous avez participé à Kaena pour l’adaptation d’un de vos romans, mais sinon en général qu’est-ce que vous en pensez ?

BORDAGE Pierre : En général, c’est de la déception qui domine parce que il se créé entre un roman et un lecteur une relation intime que le cinéma viole quelque part. Parce que le cinéma impose une vision qui est celle du réalisateur, avec sa vision, ses personnages, son univers. Du coup, cela brise la relation intime qui s’était créée et donc on est forcément déçu parce qu’on se dit qu’on voyait pas ça comme ça ou que c’était pas comme ça. Chaque lecteur fait travailler son imaginaire et donc colle des images et des choses sur les personnages des livres qu’il est entrain de lire et après quand il voit comment ça a été adapté par quelqu’un d’autre, il a forcément une grande déception. C’est très rare qu’il y ait eu des adaptations réussies. Ah oui, il y en a une cependant qui est assez fidèle, c’est La ligne verte de S. KING, bouquin que j’ai adoré par ailleurs aussi. C’est un des chef-d’œuvres de la littérature et j’ai trouvé que le film était pas trop mal fait. Mais quand même, c’est difficile de recréer l’espèce de relation qui se créé entre le lecteur et le roman. C’est une relation unique parce que le roman appuie sur des choses qui sont très propres au lecteur et le renvoie à des trucs de lui-même. Le cinéma non. Ca écrase énormément, c’est fait pour un plus grand nombre donc tout le monde a la même vision de la chose. Donc c’est très imposé le cinéma pour moi. Maintenant, si on me propose d’adapter mes bouquins, je le fais volontiers, je trouve que c’est intéressant que mes bouquins aient une autre vie mais je sais que ce ne sera pas du tout la même chose. Je n’ai pas d’exigence particulière sur comment adapter mon bouquin au cinéma. En plus, je vais avoir « les guerriers du silence » qui va être adapté en BD, qui sort au mois de janvier prochain chez Delcourt. Et c’est une vision qu’a choisie le dessinateur et qui n’est pas forcément la mienne. Bon ok, mais j’accepte le principe. C’est intéressant d’aller voir sur d’autres supports mais bon il faut savoir que ce sont des trahisons. C’est tout (sourire).

LAM : Merci beaucoup.

BORDAGE Pierre : Merci à vous.